Mellon collie and the infinite sadness

Publié le par Peace hacker

 

Meilleur album de l’histoire pour quelques uns, de la décennie pour de nombreux autres, et de l’année 95 pour une écrasante majorité. Encensé par David Bowie en personne. Composé par le perturbé Billy Corgan. Dominé par la basse destructrice de D’Arcy Wretzky et pilonné par le batteur Chamberlain. Produit par les célèbres Flood et Alan Moulder. Les compliments et titres de noblesse ne manquent pas pour cette œuvre monumentale, qui a marqué les années 90 d’une empreinte, à mon sens, bien plus profonde et durable que Nevermind, tout en connaissant le même succès commercial , et a transformé ce qui était auparavant un groupe alternatif relativement reconnu en monstre absolu du rock’n roll, nouveau détenteur provisoire du qualificatif de "plus grand groupe du monde".

 

Mellon Collie est un album quasi-impossible à appréhender dans sa globalité. Trop inspiré, trop complexe, trop audacieux. On perçoit sans le moindre doute qu’il s’agit d’une œuvre majeure de la musique des 30 dernières années, mais comment cerner les éléments particuliers qui permettent à cet album de se montrer digne d’un tel honneur ? Sans doute sont-ils trop englués dans les méandres obscurs que ce chef d’œuvre emprunte, ou ce dernier ne serait-il en fait constitué que d’éléments vitaux et magnifiques, ceux d’une réussite absolue, cohérente d’un bout à l’autre, et regorgeant de tant de richesses et de surprise que leur simple énumération deviendrait vite fastidieuse ?

C’est un disque mégalomane, porté à bout de bras par son géniteur, soutenu de manière si secondaire et pourtant si primordiale par les musiciens du groupe. Un double-album composé de 28 chansons, divisé en deux sections Dawn to dusk et Twilight to starlight, sur lequel personne n’aurait osé parier un centime, à une époque où le rock se devait d’aller au plus direct et de ne pas assommer ses auditeurs avec des mises en scène dignes de plus prétentieux rejetons de l’époque classique du progressif. Et pourtant ! Les Smashing pumpkins osent exprimer leur mal-être et celui d’une génération entière à travers un son sale et gras, véritablement garage-rock, aéré par des orchestrations classiques grandiloquentes et célestes. Mais ce n’est qu’une facette parmi d’autres de la musique du groupe. S’il y a néanmoins une constante sur cet album, c’est la dépression inhérente à presque chaque plage.

Si le titre n’était pas suffisamment parlant, l’introduction au piano du premier disque se charge de démontrer que l’heure n’est pas à la gloriole ni à l’autosatisfaction. Avec ses textes poétiques et métaphoriques, Corgan a su toucher à l’âme une génération déboussolée, inquiète de l’avenir, ayant perdu le militantisme de ses aînés sans avoir complètement plongé dans le consumérisme et le "tout-tout de suite" des années 80. Que cette dépression soit mélancolique, déchaînée, rêveuse ou même caricaturée, elle est là, imprégnant chaque phrase lâchée par la voix nasillarde et écorchée de l’éminence grise des citrouilles. Tonight, tonight et son superbe clip en hommage à Méliès plonge déjà dans la rêverie corganienne désenchantée. S’ensuit un convoi de morceaux immortels, ceux que l’on ne peut pas ignorer dans la discographie des Smashing : l’enchaînement Jellybelly, Zero, Here is no why et le terrifiant Bullet with butterfly wings. Plus guère de trace de recueillement maussade ici, l’heure à la fureur ! Un rock bruyant, hargneux et emporté, un cri de douleur contre l’aliénation et le refus d’accepter la vacuité d’une existence commune à tous. Les chansons suivantes diminuent progressivement la violence du propos et du son, et parviennent néanmoins à surprendre en plongeant subitement dans les brumes cotonneuses de Cupid de locke. Et l’album se clôt sur de superbes balades brumeuses, telles Porcelina on the vast oceans, qui virent à la berceuse sans illusions avec Take me down.

Si on parvient à résister à l’envie pressante de relancer l’album pour subir à nouveau les assauts sonores du groupe de Chigago, on n’a d’autre choix que d’enfourner le deuxième disque dans la platine. A l’exception du sinistre (bien entendu...) 1979, les pistes immédiatement reconnaissables sont ici moins nombreuses, et le groupe sort encore davantage des sentiers battus que sur Dawn to dusk. Chansons faussement optimistes (Thirty-three) introduisant des parpaings noisy-rock saturés (Tales of a scorched earth), des délires distordus sous acide (X.Y.U) avant de virer vers un genre de music-hall plutôt glauque, presque gothic-horror, sur We only come out at night ou Beautiful. On peut à nouveau reprendre son souffle alors que, comme sur son jumeau, ce disque s’assoupit en balades de plus en plus calmes et délicates.

Il y a du progressif là dedans. Il y a également du garage-rock. Mais aussi du folk, de la pop, du metal, de l'electro ,du gothique, de la musique classique, de la musique expérimentale, et tant d’autres choses. Mais par dessus tout, il y a du génie à l’état pur, et des musiciens brillants même si trop effacés. Les Smashing pumpkins avec ce concept album, si uni et pourtant si éclectique, ont gagné haut la main leur place au panthéon des œuvres rock du 20ème siècle, aux cotés de pointures comme The wall ou Quadrophenia, avec sans doute encore plus d’inventivité, d’émotion et d’accessibilité.

Les Smashing pumpkins avaient tant à dire et à composer à l’époque. Panne d’inventivité ? Mauvaise promotion ? Mauvais timing ? Fluctuations du line-up ? Relations conflictuelles avec les maisons de disques ? On se demande toujours pourquoi l'excellent adore et Machina n’ont pas eu le succès critique et commercial escompté. Peut être n’était-il pas possible de tourner dans le milieu undreground sans se bruler les ailes... 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
J
Whaa, ça c'est de la chronique lol<br /> Disque assez monstrueux en effet, j'ai une préference pour l'hallucinant morceau "Thru the eyes of ruby" et ses murailles de guitares :)
Répondre
P
Mellon collie est mon album référence ! Mais j'ai un faible pour Adore, différent evidemment.<br /> Machina ne m'avait pas séduit outremesure mais les Smashing est mon groupe à jamais...
Répondre
L
Vraiment un excellent article! J'aime beaucoup cet album, mais je ne l'avais jamais envisagé sous cet angle là. Ton approche est intéressante... Ca me donne envie de le réécouter! <br /> :) <br />
Répondre
S
Ton article est étonnant (dans le bon sens du terme). J'ai tout de même une préférence pour leur album précédent "Siamese Dream" avec l'excellent morceau Disarm ou encore le magnifique Today... Biz
Répondre